La grande histoire d’amour de l’archiduc François-Ferdinand (1863-1914)

Le 28 juin 1914 était assassiné à Sarajevo l’archiduc François-Ferdinand, héritier du trône d’Autriche-Hongrie. Cet évènement est considéré comme le déclencheur de la Première Guerre mondiale (1914-1918) : en effet, l’empereur François-Joseph 1er d’Autriche-Hongrie, ulcéré de voir les autorités serbes refuser de collaborer à l’enquête sur l’assassinat de son neveu et héritier, déclara la guerre à la Serbie peu de temps après. Il en résulta les conséquences que l’on connaît bien : une série d’alliances entre les puissances européennes les entraîna tour à tour dans la première guerre totale de l’Histoire. Aux yeux de l’Histoire et de l’historien, François-Ferdinand n’est qu’un nom obscurément associé à l’évènement qui servit de prétexte à l’éclatement de la “Grande Guerre”. S’il est vrai que l’archiduc François-Ferdinand n’est pas un homme très attrayant en lui-même, un élément de son existence est toutefois digne de mention : son histoire d’amour passionnée et hors norme avec celle qui allait devenir sa femme et mourir avec lui à Sarajevo, Sophie Chotek. 

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François-Ferdinand et sa femme Sophie Chotek avec leurs trois enfants.

Sophie Chotek était une dame de compagnie d’une archiduchesse autrichienne bien en vue, Isabelle d’Autriche-Este. Bien que noble, Sophie n’appartenait pas à une famille régnante ou ayant régné, ce qui la rendait impropre à épouser un membre de la famille impériale d’après les règles dynastiques qui étaient alors en vigueur. Ce qui n’empêche pas François-Ferdinand de s’éprendre d’elle passionnément. L’idylle entre l’héritier du trône d’Autriche, qui vient d’avoir trente ans, et la dame de compagnie, reste secrète pendant plus de deux ans. C’est l’archiduchesse Isabelle qui la fait éclater au grand jour alors qu’elle découvre avec stupéfaction que l’archiduc traîne avec lui un médaillon dissimulant une photographie de Sophie. Comme elle avait espéré que François-Ferdinand veuille épouser l’une de ses filles, elle se montre particulièrement choquée par la liaison et devient l’ennemie jurée du couple. Le scandale issu de la découverte de son histoire d’amour avec Sophie ne décourage toutefois par François-Ferdinand : il annonce à l’empereur François-Joseph, son oncle, son intention d’épouser celle qu’il aime. Normalement, un tel mariage, considéré comme “morganatique” (c’est-à-dire ne respectant pas les règles dynastiques), aurait dû écarter François-Ferdinand et sa progéniture du trône d’Autriche-Hongrie. Cependant l’empereur François-Joseph hésite à retirer à François-Ferdinand ses droits successoraux. Ce n’est pas qu’il aime particulièrement son neveu : leurs relations sont pour le moins orageuses et la plupart de leurs conversations tournent à l’affrontement. Cependant, il méprise encore davantage Otto, le frère de François-Ferdinand et celui qui deviendrait le nouvel héritier du trône d’Autriche-Hongrie si ce dernier était exclu de la lignée impériale. Otto mène une vie débauchée et scandaleuse qui sème l’indignation dans la noblesse autrichienne. Tout plutôt que de laisser cet homme lui succéder ! Contre tous ses principes, l’empereur opte donc pour un compromis. Il maintient les droits de François-Ferdinand sur la couronne autrichienne, mais en les assortissant de lourdes restrictions : les enfants nés de son mariage avec Sophie n’auront pas le droit de lui succéder et Sophie ne pourra pas devenir impératrice. À la cour d’Autriche, elle passerait après toutes les femmes de la famille impériale dans l’ordre de préséance. François-Ferdinand accepte cet accord bien qu’il le considère comme étant injurieux à l’endroit de celle qu’il aime. Ils se marient donc le 28 juin 1900 après que l’archiduc eût officiellement déclaré son mariage morganatique dans une cérémonie officielle devant toute la cour.

Le couple connaît une union heureuse et sans histoire avec les trois enfants qu’ils auront – deux garçons et une fille. Ils partagent leur temps entre le château de Bohême et leur résidence de Vienne, où ils évitent soigneusement les réunions mondaines de la cour qui sont trop humiliantes pour Sophie. Ils mènent donc une vie isolée mais épanouie en dehors de la cour. Il semblerait que la passion de François-Ferdinand pour sa femme ait duré jusqu’à la fin à en juger par le nombre de portraits d’elle dont il aimait s’entourer dans ses déplacements. Finalement, ils trouveront la mort ensemble à Sarajevo en ce 28 juin 1914, jour de leur quatorzième anniversaire de mariage, lorsqu’un indépendantiste serbe les abattit à bout portant alors qu’ils se déplaçaient dans une voiture décapotable. François-Ferdinand avait bousculé l’étiquette en insistant pour que sa femme l’accompagne dans ce voyage en Serbie parce que c’était leur anniversaire de mariage, et c’est à cause de la présence de sa femme qu’il n’avait pas pu bénéficier de la protection de l’armée que l’on refusait à son épouse morganatique. Ses derniers mots, en voyant tomber inerte la femme qu’il aimait entre ses bras, furent:  « Sophie chérie ! Sophie chérie ! Ne meurs pas ! Reste en vie pour nos enfants ! » François-Ferdinand et Sophie moururent tous deux en route vers l’hôpital, et leurs dépouilles furent inhumées ensemble au château d’Artstetten, en Autriche. Ayant prévu qu’on refuserait à Sophie d’être inhumée à la crypte des Capucins, nécropole impériale d’Autriche, François-Ferdinand avait déjà fait les arrangements nécessaires pour qu’ils puissent reposer ensemble, le moment venu.

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Illustration représentant l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand et de sa femme Sophie à Sarajevo en 1914.

Le choix de François-Ferdinand d’épouser la femme qu’il aime, bien qu’anecdotique, est pourtant assez caractéristique d’une noblesse en crise au tournant du XXe siècle. Face à une société qui fait tomber les monarchies et les remplace par des démocraties, qui remet en question les privilèges d’une noblesse de plus en plus perçue comme inutile, les nobles cherchent désespérément à redéfinir leur rôle. Certains d’entre eux deviendront d’ardents républicains et rejetteront carrément le mode de vie associé à la noblesse, refusant les mariages arrangés et choisissant d’exercer des professions bourgeoises. Nombreux d’entre eux, à l’instar de François-Ferdinand, opteront plutôt pour une attitude ambivalente : choisir de s’accrocher à leurs droits de nobles mais en essayant de mener une vie personnelle libre et épanouie, hors des restrictions dynastiques. Mais la fin de la noblesse est déjà bien amorcée : au sortir de la Première Guerre mondiale en 1918, les monarchies d’Allemagne, d’Autriche-Hongrie et de Russie auront tombé et fait place à des régimes modernes. L’assassinat de François-Ferdinand aura marqué le début de la fin de la noblesse à laquelle il adhérait avec tellement d’ambivalence.